Ne soyez pas découragés par l’anxiété des temps qui courent: ‘la situation est extrêmement grave’, ‘il est beaucoup trop tard pour freiner les changements climatiques’, ‘que puis-je vraiment faire moi, toute seule, pour changer les choses?’. Ne vous laissez pas distraire non plus par la mythologie dévastatrice de nos marchés boursiers qui promet perpétuellement que cette crise environnementale très urgente disparaîtra et que vous retrouverez votre tranquillité d’esprit en obtenant ce contrat-là, en achetant cette voiture-ci, en regardant ce film-là, en écoutant cette chanson-ci ou en achetant cette robe-là. Je ne veux surtout pas dénigrer votre intelligence. Au contraire, je vous dis cela parce que je porte moi-même le même bandeau aux yeux depuis belle lurette. Il en est de même pour mes parents, leurs parents et leurs grands-parents. Nous sommes nés dans une société accro à la consommation. Nous achetons et consommons pour nous sentir mieux dans notre peau et ce, depuis maintenant des centaines d’années. C’est un fait. Un achat a le même effet jouissif pour nous aujourd’hui que la caresse d’une bienaimée, qu’un bon repas cuisiné avec doigté ou qu’une promenade ensoleillée dans la forêt. Il s’agit ici d’un réflexe subconscient profondément enraciné qu’il est quasiment impossible d’éviter. Mais malgré la force de cet automatisme bien ancré, l’empire culturel qui promeut cette volonté profonde d’acheter, notre système politique et économique occidental, est en train de s’affaiblir. Les démocraties capitalistes du monde entier s’essoufflent présentement, heurtées au désenchantement profond de leurs citoyens, qui perdent confiance en leurs élus et remettent en question le processus démocratique de fond en comble. Cette perte de confiance est en grande partie symptomatique du lobbying et du pouvoir intense qu’exercent maintenant les grandes entreprises au sein de nos structures gouvernementales. Une influence qui va trop souvent à l’encontre-même de notre bien-être et de nos droits fondamentaux en tant qu’êtres humains. Le profit dicte maintenant la loi. Ça ne peut plus durer.
Laissez-moi donc vous raconter notre petite aventure ici à la maison. Une aventure qui aura débuter il y a un peu plus de 6 mois par un refus fondamental de baisser les bras. En effet, mon mari et moi et nos deux jeunes enfants avons décidé de totalement modifier nos habitudes de consommation afin de réduire concrètement notre empreinte écologique, nos déchets et notre pollution. Nous voulions faire notre petite part pour éviter le pire. Une petite part qui se doit d’être très personnelle au début si elle a aucun espoir de devenir communautaire ou collective par la suite. Parce qu’à mon avis c’est comme ça que débute le vrai changement. Il faut commencer chez soi, à la maison, se forcer à sortir de sa propre zone de confort, tout apprendre au sujet du compostage, réutiliser et recycler le plus possible au lieu de tout jeter constamment, s’éduquer sur les produits locaux que nous achetons versus les produits importés, comprendre ce que ça veut dire d’acheté local, acheter bio, avoir sa propre épiphanie en découpant une vielle serviette de plage pour se faire des bons torchons qu’on peut ensuite utiliser et réutiliser pour laver les vitres et les comptoirs au lieu d’utiliser rouleau après rouleau d’essuie tout, réduire sa consommation de viande… et la liste continue. Elle est longue. Il y a tellement de choses qu’on peut faire soi-même à la maison pour se défaire d’un système économique et politique qui ne répond décidément plus à ce que ça veut dire de vivre en harmonie avec son prochain, avec son environnement et avec les ressources naturelles limitées auxquelles nous avons réellement droit. C’est comme ça que le changement social débute: à la maison. Parce qu’une fois qu’on comprend personnellement que le changement est possible, même si c’est dur au début, quand on passe à l’action chez soi d’abord, il devient beaucoup plus facile ensuite de bâtir des initiatives communautaires autour des mêmes valeurs et des mêmes principes. Le changement local devient ainsi progressivement collectif et politique.
La plus grande leçon acquise à travers tout ce processus de réduction de déchets dans notre famille c’est que nous n’avons vraiment pas besoin de grand-chose pour être heureux. Je sais que les gens le disent tout le temps mais l’argent n’achète vraiment pas le bonheur. Et si vous avez en plus un toit au-dessus de votre tête, de la nourriture sur votre table, de l’amour et votre santé? Et bien, vous êtes mieux équipé que la plupart des gens sur cette terre. Et l’ours grizzly qui allaite ses oursons au fin fond de sa tanière en plein hiver dans le Yukon, elle le sait ça, elle aussi, tout comme ces centaines de saumons en fraie à l’automne en Colombie Britannique, qui quittent la mer et se battent pour remonter le courant des rivières déchaînées pendant des semaines avant de mourir épuisés après avoir enfin atteint leur objectif, la fécondation de leurs œufs. C’est vraiment cela qui compte, de se battre pour survivre, grandir et aimer. Et d’arriver à le faire avec un respect inébranlable envers les autres, d’espèces en espèces, en coexistant harmonieusement avec toute la vie sur terre. Je pense sincèrement que cela fait également partie de la clé, de ce qui donne un vrai sens à notre vie et fait partie intègre de notre objectif ici sur cette planète. L’argent ne courtise pas l’harmonie. Elle ne vous achètera pas l’air pur dont nous avons tant besoin pour respirer et l’eau potable que nous buvons. Nous ne pouvons plus privilégier le profit au détriment de notre biodiversité. Si nous continuons à déverser du plastique dans nos océans comme nous le faisons, en se disant que « ah ben merde, c’est la vie »? Et bien c’est exactement là où ça nous mènera. Nous nous réveillerons un jour, sortirons de chez nous et ne verrons que de la merde partout. Elle empestera nos belles voitures, piquera nos yeux et asséchera notre cœur.
Lorsque nous avons commencé à drastiquement changer nos habitudes et notre routine à la maison, mon mari et moi avons aussi inévitablement commencé à nous disputer plus souvent. Cela a lourdement affecté notre mariage parce que nous étions soudainement confrontés à toutes sortes de mauvais réflexes qu’il fallait à tout prix désamorcer rapidement pour mieux vivre, moins dépenser, moins consommer et moins polluer à long terme. Nous avons donc dû accepter le grand inconfort initial d’un nouveau rythme de vie. Il faut beaucoup d’efforts et de recherches pour comprendre comment arrêter d’utiliser autant de plastique, comment réduire la quantité d’eau que nous utilisons en une journée, comment acheter ou fabriquer soi-même des produits de nettoyage entièrement biodégradables à la maison, comment acheter des produits locaux au lieu de produits importés, comment acheter des produits biologiques, éviter les produits suremballés, comment arrêter de manger de la viande, conduire une voiture électrique, comment composter, comment cesser d’utiliser autant de papier, comment et où acheter des vêtements et des produits d’occasion en bon état au lieu de constamment en acheter de nouveaux. Parce que c’est vrai: une fois qu’on commence, on ne peut plus arrêter. Il y a tellement de façons d’être plus responsable en tant qu’être humain sur cette planète. Mais tout ce chambardement dans nos habitudes a causé beaucoup de stress et de tension dans notre couple. Surtout au début et surtout en plus quand on essaie aussi d’élever de très jeunes enfants en même temps. Les enfants à eux seul peuvent mettre un mariage à l’épreuve. De vouloir en plus mettre en œuvre tous les changements énumérés ci-dessus était extrêmement exigeant.
J’utilise le mot ‘inconfort’ pour décrire cette évolution ardue chez nous, parce qu’il est tout à fait normal de se sentir soudainement et complètement dépassé par le fait que tous vos repères changent en même temps et ce autant dans vos sphères personnelles que professionnelles. Quand on change à ce point ses priorités dans la vie, tout est à réapprendre. Il faut le dire: c’est une tâche monumentale. Et vous pouvez ensuite y ajouter le stress inattendu de voir vos amis devenir confus à votre égard et de voir le reste de votre parenté s’inquiéter parce qu’ils ne comprennent pas d’emblée pourquoi vous avez tout à coup choisi d’effectuer ces énormes changements dans votre vie. Parce que même si tout le monde le sait instinctivement, que notre Terre est en train de mourir, ce n’est encore qu’une minorité qui est réellement prête à agir, à changer drastiquement, à assumer la responsabilité de ce que nous avons infligé collectivement à notre biosphère. En attendant, la mastodonte majorité privilégie plutôt le déni, l’indécision, le scepticisme. Et La Peur règne. La peur d’être inconfortable, de devoir se responsabiliser activement.
Ceci m’amène donc à cette fameuse soirée d’automne, il y a quelques mois, lorsque mon mari et moi étions encore submergés par l’inconfort du renouveau, occuper à changer notre façon de manger, de nettoyer, de conduire, de boire, de laver et d’acheter. On se disputait dans la cuisine. Je dois vous admettre qu’au courant des derniers mois, nous nous sommes plus souvent, ouvertement et franchement disputés lui et moi que durant la totalité de nos neuf dernières années passées ensemble. Tout à coup, nous débattions régulièrement à voix très haute de tout. Est-ce que tel ou tel changement était vraiment nécessaire dans notre routine? Pouvions-nous nous le permettre financièrement? Qu’est-ce que nos enfants allaient apprendre de ces nouvelles décisions? Quelle serait la leçon de vie pour eux? Comment leur expliquer pourquoi il fallait changer ceci ou cela? Et petit à petit, la tension entre mon mari et moi s’est mise à monter. Elle s’est mise à monter parce qu’il y avait quelque chose de fondamentalement différent dans nos compréhensions individuelles de la gravité de la situation. On se rendait compte que les enjeux n’étaient pas les même d’une perspective à l’autre. Il était en fait de plus en plus clair que lui ne ressentait pas l’urgence que moi je ressentais. Oui, il appréciait que tous ces changements dans notre vie étaient bel et bien nécessaires mais il n’était décidément pas du même avis que moi sur un point crucial: l’urgence de la situation, le fait qu’il ne nous reste presque plus assez de temps pour agir.
Cette soirée-là, nous étions particulièrement épuisés, les nerfs à vifs, nos opinions s’exprimant avec abandon. À bout, j’ai enfin regardé mon mari, la fureur dans les yeux, et je lui ai carrément lancé:
‘Tu veux vraiment savoir ce que j’en pense? Tu es certain? Ok. Et bien, à mon avis c’est comme si on chiait littéralement où on mangeait.’
Il n’a pas compris tout de suite. Il est d’abord resté outré par la grossièreté de mon langage. Il était déjà en colère contre moi parce que je venais en plus de lui dire qu’il était grand temps qu’il arrête de ne penser qu’à notre famille à nous. Qu’il fallait penser à toutes les familles. Oui, mon mari avait accepté de faire ces grands changements écologiques et durables chez nous « pour nos enfants » afin qu’ils « aient un meilleur avenir ». Mais mon argument ce soir là était qu’il fallait élargir nos horizons et penser à notre communauté, à notre ville, à notre planète. Il ne fallait pas seulement penser à nos enfants à nous. Il fallait penser à tous les enfants. Il fallait penser aux oursons et aux saumons, aux enfants de nos voisins et à ceux du Yémen, du Kenya et du Japon, et même aux jeunes pousses d’érable qui luttent présentement sous la glace au pied des forêts. J’essayais désespérément de lui faire comprendre que nous sommes tous interconnectés. J’étais debout ce soir là, les poings crispés sur le comptoir de notre cuisine, essayant désespérément d’expliquer l’inexplicable: ce profond mystère qu’est la Vie sur Terre.
‘Mais pourquoi es-tu si en colère?!’ me demanda-t-il.
‘Parce que nous sommes en train de détruire notre monde’ lui dis-je avec fureur.
‘Mais ce n’est pas à nous de sauver le monde.’ me répondait-il.
Et puis c’est à ce moment-là que je lui ai répondu :
‘Oui. Oui, en fait. C’est notre responsabilité. ‘
Et voilà, à mon humble avis, le genre de pression sous laquelle nous nous retrouvons maintenant face à cette crise environnementale. Le genre de pression qui pousse une épouse de 39 ans, mère de deux enfants, à se tenir debout dans sa cuisine devant son mari et à prononcer avec conviction ces mots décidément remplis d’espoir, d’engagement et d’appartenance:
‘Oui. Oui, c’est ma responsabilité.’
Nous devons assumer nos responsabilités. Nous devons le faire pour nous-mêmes, pour nos enfants et pour tous les êtres vivants de la planète. Parce que c’est notre devoir, à chacun d’entre nous de réagir et d’agir maintenant. Ne détournons plus le regard. Soyons des témoins engagés, les yeux grands ouverts, pour ces forêts entières qui s’enflamment, pour le niveau de l’eau qui ne cesse de monter sur les rives de nos continents et pour cette famine qui frappe présentement des nations entières. Ne restons pas muets devant la dissémination de nos populations d’abeilles par les pesticides pendant que les récifs coralliens s’éteignent aussi dans les profondeurs de notre insouciance. Chacun de nous a une responsabilité cruciale et un rôle personnel à jouer maintenant dans cette crise planétaire que nous avons créée ensemble. C’est vrai que toute seule, on ne peut pas changer le monde. Mais collectivement, il est temps d’arrêter de chier là où nous mangeons. Je sais que c’est impoli de ma part mais c’est vrai. Non seulement nous chions où nous mangeons en polluant notre monde comme nous le faisons, mais nous chions aussi là où l’oiseau bâti son nid et où le renard creuse son terrier. Ça ne peut plus durer.
Ce Renard Fantastique est une photo prise par le photographe Stefan Busher. Je ne détiens pas les droits de diffusion pour cette image mais j’espère sincèrement que monsieur Busher m’accordera le droit de la laisser ici avec ce texte. Ce moment qu’il a immortalisé est extraordinairement magique.